Elle se tient devant la Machine, un peu à distance, un peu au-delà. Vous avez ouvert le livre, lu le titre, vous êtes devant la belle page, le premier mot de la première ligne. C’est parti. Calme, résolue, elle s’élance. Elle tape des mots. Elle prend la parole.
Dire cette langue mécanique, vidée de sa chair, vidée de son sens, la langue des « fabriques infernales » et ces « mains de tueurs qui écrivent ». Cela vous dit quelque chose, oui… Malmener ses idées, les automatismes, systématismes et autres faux-semblants surtout. Passer le vertige d’un monde sans mot, sans nom, qui efface jusqu’à sa propre présence, et, surtout, les nôtres. Vous commencez à comprendre, la voie poétique devient familière, comme un chemin déjà emprunté. Enjamber l’indicible, les entreprises de déshumanisation, le dehors qui bannit, qui fabrique en série des pantins. Détourner le regard, le cours des choses, la langue fuyante. Mais oui, cette voix, vous la connaissez, depuis toujours, vous l’entendez en vous quand, devant le danger, l’injustice, l’insupportable, se dresse le sentiment d’urgence.
Elle écrit ainsi, « les yeux braqués sur la tempe du ciel ». Elle écrit, doucement d’abord, puis… Elle écrit, elle chante, elle court. Elle écrit, elle se perd, elle chute. Alors elle écrit, elle s’emporte, vous emporte, elle se débat… La Machine poétique est lancée, elle file droit sur ses rails, elle ignore certains termes, elle en rappelle d’autres, elle… silence !, elle écrit, elle tire tout le poids du monde, elle refait connaissance, elle emporte les désillusions et ravive la foule des désirs.
Sûr qu’elle a peur ! Mais à quoi tient le monde sinon aux mots ? Il n’y a que cette seule route pour retrouver les biens dérobés – le monde et soi-même. La langue quand elle est poétique devient acte, se fait machine de guerre. Conquérante et bienveillante. Elle donne naissance à une parole plus grande, souveraine, inspirée : une parole qui n’efface pas la misère, mais qui accueille toutes les misères, qui absorbe et transcende le monde.
Vous savez désormais que l’enjeu n’est pas simple littérature. La lutte, la métamorphose, au lieu ici et maintenant dans cette page sous vos yeux, dans ce recueil entre vos mains, avec vous qui lisez, grâce à vous qui entendez aussi désormais l’appel, « le chant sobre de la terre ». Et soudain, toutes distances abolies, dans ses poèmes, nous pouvons nous parler, nous rejoindre. La poétesse est pleine présence dans les mots qu’elle aligne, et qui vont droit à l’âme, boum, s’élancent vers le ciel.
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