Mahjoub Ben Bella - La couleur incantatoire

Majoub Ben Bella - La couleur incantatoire, catalogue de l’exposition au Musée de l’Hospice Comtesse, Lille.

Il était une fois un jeune homme à grandes lunettes, poil noir et regard ardent.
Eh bien c’est le même qui s’expose aujourd’hui.
Jamais lassé, toujours résolu. Plein d’une vie débordante.
Juste quelques mots pour saluer son séjour dans la « salle des malades » ?
Je rêve plutôt d’une longue phrase qui enjamberait ces décennies d’activité furieuse et délicate, une phrase tendue entre l’aube et le crépuscule qui embrasserait l’Orient et l’Occident, Maghnia et Tourcoing, Montmartre et Roubaix, les comètes et les cailloux, dans cette phrase viendraient se blottir la tendresse avant qu’une flamme ne l’attise, celle qu’on ne pourra jamais éteindre, réchauffant les signes qui dansent sur le papier ou la toile jusqu’à plus soif, dans cette longue phrase on ferait une petite place aux demoiselles d’Avignon et aux tournesols, à la poitrine ouverte par Delacroix et aux ombres de Goya, car c’est le chemin toujours recommencé de la peinture vers ce qui la dépasse, une vision du monde et une expérience unique, formes et couleurs agitées en tous sens mais gardant le sens de l’équilibre, surgies de la même main, cinq doigts au bord d’un vide qu’il faut transformer en plénitude, les nerfs à vif, l’oeil aux aguets, on y verrait même surgir un vert crocodile, dans cette phrase, toutes dents dehors mais fondu dans le paysage mental qu’un homme nommé Mahjoub Ben Bella renouvelle sans cesse, combinant brumes douces et éclairs décapants, marques noires et traces dorées, gris de poussière et bleu d’infini, il faudrait aussi y mettre le velours de sa voix et le dru de sa moustache, les yeux intenses, la marche d’un scarabée et le silence d’un masque, on peut aussi inviter Pollock, Sardanapale, Tahar Ben Jelloun, y dresser des totems et des colonnes, en chasser toute mièvrerie, y accueillir des buissons ardents, des flaques rouges, des talismans et des graphies à n’en plus finir…
Oui, si c’était possible, dans une seule phrase toutes ces lignes de vie viendraient en composer une seule, la sienne, devenue celle des autres…
Longtemps, c’est sûr, Mahjoub Ben Bella s’est couché tard avant de se lever de bonne heure, pressé de
faire des rêves une réalité.