Quand je regarde un dessin ou un tableau de Roland Devolder, j’ai l’impression d’avoir les yeux fermés.
Dans ce monde sans paysage où des cortèges célèbrent je ne sait quoi, nous sommes à la fois spectateurs et participants cachés derrière un masque à la tête de mort joyeuse voisinant avec un homme-poisson énigmatique. Dans ce noir, blanc, gris, j’adore ces silhouettes qui avancent sur un sable sans bord de mer au son d’une grosse-caisse battante, des flûtes joyeuses, d’accordéons rieurs parmi des chèvres et des ânes à tête de squelette , silhouettes qui sont comme autant de notes de musique dansant sur une portée invisible.
Quand, dans la couleur de ton noir et blanc, tu jettes une tache de rouge, elle nous éclate comme une grenade (le fruit) et réveille plus encore notre imaginaire. Parfois, tu glisses tes personnages dans l’ocre, ils ne semblent pas étonnés d’avoir quitté les subtilités de tes gris et continuent la même fête.
Dans quel pays nous entraînes tu ? Dehors, “ mais quel est ce dehors sans ciel, sans beffroi, sans arbre et sans oiseau? ” tes héros fêtent et suivent on ne sait quel cercueil bien enfermé dans tes cadres avec leurs yeux en déshérence. Dedans “ mais quel intérieur sans meuble et sans rideau et fenêtre? ” autour d’une table tes héros partagent la contemplation d’un poisson dans une scène (cène) à la Vinci.
Ce sont les mêmes qu’à l’extérieur : des hommes poissons ou des squelettes musiciens autour desquels tu ajoutes parfois des évêques ou des bourgeois éteints. Il est difficile de rouvrir les yeux après avoir vu tes toiles ou tes superbes dessins qui reflètent le plus profond de nous avant même d’être ici quand nous appartenions encore au monde de l’eau d’ou viennent tes poissons qui évoluent dans tes tableaux mais qui n’ont pas besoin de la mer pour se mouvoir, comme tes personnages n’ont pas besoin de rue et de champs pour marcher. Ta plume dont on entend le crissement sur le papier au milieu de la fanfare de tes hommes perdus, éclopés et mutants qui sont nos frères dans notre monde qui perd chaque jours son sens, ta plume nous griffe dans notre errance avec ton régard de roi débonnaire et rieur qui fait un clin d’œil à notre solitude.
Jean-Daniel Verhaeghe
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